mardi 26 février 2013

Conte X: Faut-il renoncer à la Terre ?

    Tout en allant chercher des moines bouddhistes, les amis marchèrent des heures et des heures en silence. Avant que la nuit tombe, ils trouvèrent un temple bouddhiste dans une grande montagne, d’où se répandait une légère odeur d'encens.
    Au-dessus de la porte de ce temple, il y avait une immense enseigne qui portait ces mots en lettres d’or : « La Porte Vide »
    « Vois-tu cette enseigne ? demanda la Grande Personne au petit confucianiste.
    - Je l’ai vue.
    - Alors, c’est bien ici que nous devons chercher.»
    Ils frappèrent donc à la porte.
    Un instant plus tard, un petit moine ouvrit la porte. Il joignit ses dix doigts en guise de salut, puis leur demanda :
    « Mes deux bienfaiteurs, que voulez-vous ?
    - Est-ce que votre maître est là ? Nous avons quelques questions à lui poser, dit la Grande Personne.
    - Désolé, mes bienfaiteurs ! Mon maître est sorti. Mais, si vous avez des questions à poser, n’hésitez pas, je peux vous répondre à sa place.»
    La Grande Personne réfléchit en balançant. Alors, le petit confucianiste lui fit un signe de tête pour la rassurer.
    La grande Personne demanda donc:
    « J’ai entendu dire que les bouddhistes se préparent à quitter la Terre ?  Où allez-vous ? »
    Le jeune moine sortit un petit livre de sa poche. C’était un soutra de sa propre version. Pourtant, ce petit moine n’était vraisemblablement pas à l’âge d’apprendre des textes saints. Mais comme il avait l’esprit curieux, chaque fois que son maître récitait les soutras, il prenait de temps en temps des notes à sa façon, avec un petit morceau de crayon. Ainsi, de fil en aiguille, il avait construit un petit livre.
    Tout à fait comme son maître, il commença à le lire :
    « Il était une fois, à travers dix mille milliards de galaxies, une planète nommée La Terre Propre, qui se trouvait tout droit vers l’ouest de notre Terre. Entourée par sept rangs de parapet d’or et d’argent, et aussi, par sept rangs d’arbres précieux, cette planète était un endroit parfait, un lieu idyllique. »
    Le petit moine humecta dans la bouche le bout de son index afin de tourner la page, puis continua :
    « De plus, cette planète possédait énormément de richesses. Ce n’était partout que des diamants étincelants, des rubis écarlates, des émeraudes du plus beau vert, qui s'éparpillaient sur le sol. Et puis, lorsqu'on regardait attentivement les maisons construites sur le sol ou sur les nuages, on voyait qu’elles étaient toutes décorées d’or, d’argent, de cristal, et de coquillages, et de perles rouges. Bien plus, sur cette planète, le vent faisait des mélodies merveilleuses qui jouaient toutes seules, et la pluie, des pétales de stramoine qui tombaient de temps en temps. » 
    Il reprit un peu de salive et tourna la page :
     « Et puis, tous les peuples de cette terre étaient immortels. Ils ne travaillaient pas, et tous les jours ils n’étudiaient que la philosophie. Et puis, quand ils avaient faim, de délicieuses nourritures aux saveurs enivrantes apparaissaient automatiquement devant eux. Et puis, ils vivaient avec des oiseaux de grande valeur et des quadrupèdes rares. Ces animaux étaient en fait de formidables chanteurs, des danseurs et des philosophes incroyables. Cette Terre Propre, on l’appelait aussi le Monde de la Joie Parfaite de l’Ouest. » 
    De nouveau, le petit moine tourna la page après s'être humecté le doigt :
    « Et puis, au milieu de cette planète, se trouvait un grand lac aux sables d’or. Le flux et reflux des eaux cristallines se produisaient selon le désir de son maître. Mais quel maître ? Dieu bien sûr. Son surnom était le Bouddha Amitabha. Et, il était en train de faire sa conférence sur le rivage…
    - Ah ! C’est merveilleux ! admira la Grande Personne. Est-ce que nous avons le droit d’y aller ? »
    Le petit moine tourna la page en cherchant puis trouvé :
    « Tout le monde a le droit d’y accéder. Et puis, en plus, le Bouddha Amitabha est très accueillant. Appelez-le seulement en répétant son nom, cela attirera son attention, et puis,  il vous recevra chaleureusement.  
    - Ce n’est pas difficile d’y aller ! se dit la Grande Personne en silence.
    Elle posa la question : « Ça coûte cher pour y aller ?
    - C’est gratuit. »
    « Que c’est beau ! se dit-elle. Mais c’est bien dommage que ce soit si loin ! »
    Puis, elle discuta avec le petit confucianiste:
    « Pour traverser dix mille milliards de galaxies, peut-tu estimer de combien d’années lumière nous avons besoin ? Je crains bien que la durée d'une vie humaine ne suffise pas pour y aller. De plus, le vaisseau spatial construit par l’homme n’a pas encore atteint la vitesse de la lumière. Ce voyage est alors impossible, n’est-ce pas ? 
    - Chut ! interrompit le petit confucianiste à voix basse. Laisse-le parler ! Ce n’est pas la peine de se faire du souci pour les Bouddhistes : ils ont leur propre moyen. Nous ne faisons que poser des questions. »
    La Grande Personne posa donc la question :
    « Comment peut-on faire pour traverser dix mille milliards de galaxies ? »
    Le petit moine tourna une autre page de son livre et lut :
    « Tout d’abord, vous devez tout vider. Vous devez vider votre argent, vider votre famille, vider votre position sociale, vider votre réputation, vider votre intelligence, vider vos vaisseaux spatiaux, vider la vitesse de lumière, vider votre durée de vie, et même vider votre corps. Et puis, si vous pouvez tout vider, vous serez alors un bon candidat pour partir. Mais il ne faut pas oublier, avant tout, de commander un des vaisseaux spatiaux de bouddhiste. C’est gratuit.
    - Il y a combien de vaisseaux au choix ?
    - Il y en a deux en gros: des petits vaisseaux et des grands vaisseaux.
    - Quelles sont les différences entre les deux ?
    - Les petits vaisseaux ne peuvent transporter qu’une personne et desservir qu’une station terminale. Quant aux grands vaisseaux, ils peuvent prendre tous les humains à la fois, pour toutes les stations possibles dans l’Univers.
    - Combien y a-t-il de stations que l’homme peut aborder en vivant dans l’Univers ?
    - C’est… c’est… », le petit moine feuilletait son petit livre.
    Enfin, il trouva la réponse :
    « Dans l’Univers, l’homme est veinard, pour faire son choix, il a autant de stations que la quantité de sables de la rivière Gange.
    - Parfait ! Et pourrais-je visiter les vaisseaux ?
    - Ils se trouvent juste derrière la Porte Vide. Mais, ils sont invisibles.
    - Ah ! C’est dommage ! Mais pourquoi les gens doivent-ils quitter la Terre ?
    - Si vous voulez profiter de la béatitude absolue, si vous voulez vivre sans douleur et sans souffrance, le seul moyen d’être sauver, c’est de quitter la Terre. Car la vie sur la planète Terre est une vie submergée par un océan de douleur. Dans cet océan amer, tout homme, quel que soit sa position sociale, roi, clochard, enfant ou champion sportif, doit supporter au moins quatre douleurs : la douleur de la naissance, celle de la vieillesse, celle de la maladie, et celle de la mort. Si vous voulez être rongé par cet océan de souffrance, vous pouvez y rester, c'est comme vous voulez.» 
    Il tourna le page et reprit :
    « Et puis, en plus, l’atmosphère de la Terre est déjà polluée par trois passions humaines : le désir, la haine et l’erreur, qui font entrer la vie de l’être humain dans le cycle de renaissance entre l’homme et l’animal : le bon moral qui conduit des animaux à la vie de l’homme, et le mauvais moral qui dégrade des hommes à la vie animale. Ceci est un cycle mortel, dans lequel on ne peut pas se sublimer dans les transcendances des saints. Et puis, en plus, de manière troublante, la Terre a été aussi enveloppée par une couche de poussière rouge, qui fait que personne ne peut échapper aux guerres et aux conflits qui détruisent les uns et les autres. Alors, le seul moyen de se tirer de la poussière rouge, c’est d’abandonner la Terre, et d’aller vivre dans le Monde de la Joie Parfaite de l’Ouest. »
    Et puis, tout le monde se tut.
    Après un instant de silence, le petit moine les interrogea : « Vous avez encore d’autres questions à poser, mes bienfaiteurs ?
    - Non.
    - Parfait ! répondit le petit moine. Si vous décidez de partir, il suffit de refrapper à la Porte Vide. »
    Il joignit ses dix doigts pour saluer et referma la porte du temple.

    Sur la route descendante de la montagne, la Grande Personne demanda au petit confucianiste:
    « Alors, qu’est-ce que tu en penses ? Veux-tu partir ?
    - Non, je ne veux pas. Je suis né sur la Terre, ma vie est ici. Même si elle est plongée dans un océan de douleur, je la tiens toujours. Je supporterais tout pour elle, parce qu’à mes yeux, la Terre reste toujours très belle: la plus belle de tout l’Univers. Je l’aime trop.
    - Non ! Nous ne partirons pas ! Nous baignerons dans cet océan de souffrance qu’est notre Terre ! Parce que nous l’aimons ! dit la Grande Personne. »
    Le petit confucianiste la considéra avec un sourire compréhensif.
    Et la Grande Personne lui répondit par un regard et un sourire bienveillants.
    Le petit confucianiste lui dit doucement : « Tu sais, notre maître dit que le destin d'un confucianiste est de civiliser la Terre.
    - Oui ! Je suis complètement d’accord ! Nous devrions civiliser notre Terre, étant donnée qu’elle est polluée par la poussière rouge !
    À ce moment là, les deux amis se sentirent très proches.
    La Grande Personne lui demanda : « A ton avis, comment pourrait-on civiliser la Terre ? »
    - Par le vide.
    - Je ne comprends pas ! Puisque tu ne veux pas renoncer à la Terre, pourquoi tiens-tu encore au vide comme le bouddhiste? Je crois que tu n’as pas besoin de cette technique.
    - Le vide a un sens différent dans l’école confucianiste. Pour les bouddhistes, ils doivent vider toutes les choses jusqu'au bout afin de se préparer à quitter la Terre. Mais pour les confucianistes, c’est au contraire, leur mission est de civiliser la Terre, et pour accomplir cette mission, ils doivent trouver le point initial de la civilisation. Ils l'ont enfin trouvé : c’est le vide. Par ce point de départ bien propre, nous pouvons déclencher une civilisation vraie sur la Terre…
    - J’ai compris ton idée, l’interrompit la Grande Personne. Le vide signifie la fin pour le bouddhiste, à l’inverse, il signifie le commencement pour le confucianiste. Les confucianistes veulent remettre toutes les choses en ordre à partir du vide qui représente le point initial d’une nouvelle civilisation. C’est une très bonne idée ! Mais, comment peut-on civiliser notre Terre par le vide ?

    « Bonne question ! C’est justement le deuxième devoir de notre école : obtenir les connaissances réelles » 

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