Tout en allant chercher des moines bouddhistes, les amis
marchèrent des heures et des heures en silence. Avant que la nuit tombe,
ils trouvèrent un temple bouddhiste dans une grande montagne, d’où se répandait
une légère odeur d'encens.
Au-dessus de la porte de ce temple, il y avait une
immense enseigne qui portait ces mots en lettres d’or : « La
Porte Vide »
« Vois-tu cette enseigne ? demanda la Grande
Personne au petit confucianiste.
- Je l’ai vue.
- Alors, c’est bien ici que nous devons chercher.»
Ils frappèrent donc à la porte.
Un instant plus tard, un petit moine ouvrit la porte. Il
joignit ses dix doigts en guise de salut, puis leur demanda :
« Mes deux bienfaiteurs, que voulez-vous ?
- Est-ce que votre maître est là ? Nous avons
quelques questions à lui poser, dit la Grande Personne.
- Désolé, mes bienfaiteurs ! Mon maître est sorti.
Mais, si vous avez des questions à poser, n’hésitez pas, je peux vous répondre
à sa place. »
La Grande Personne réfléchit en balançant. Alors, le
petit confucianiste lui fit un signe de tête pour la rassurer.
La grande Personne demanda donc:
« J’ai entendu dire que les bouddhistes se préparent
à quitter la Terre ? Où allez-vous ? »
Le jeune moine sortit un petit livre de sa poche. C’était
un soutra de sa propre version. Pourtant, ce petit moine n’était
vraisemblablement pas à l’âge d’apprendre des textes saints. Mais comme il
avait l’esprit curieux, chaque fois que son maître récitait les soutras, il
prenait de temps en temps des notes à sa façon, avec un petit morceau de
crayon. Ainsi, de fil en aiguille, il avait construit un petit livre.
Tout à fait comme son maître, il commença à le
lire :
« Il était une fois, à travers dix mille milliards
de galaxies, une planète nommée La Terre Propre, qui se
trouvait tout droit vers l’ouest de notre Terre. Entourée par sept rangs de
parapet d’or et d’argent, et aussi, par sept rangs d’arbres précieux, cette
planète était un endroit parfait, un lieu idyllique. »
Le petit moine humecta dans la bouche le bout de son
index afin de tourner la page, puis continua :
« De plus, cette planète possédait énormément de
richesses. Ce n’était partout que des diamants étincelants, des rubis
écarlates, des émeraudes du plus beau vert, qui s'éparpillaient sur le sol. Et
puis, lorsqu'on regardait attentivement les maisons construites sur le sol ou
sur les nuages, on voyait qu’elles étaient toutes décorées d’or, d’argent, de
cristal, et de coquillages, et de perles rouges. Bien plus, sur cette planète,
le vent faisait des mélodies merveilleuses qui jouaient toutes seules, et la
pluie, des pétales de stramoine qui tombaient de temps en temps. »
Il reprit un peu de salive et tourna la page :
« Et puis, tous les peuples de cette terre étaient
immortels. Ils ne travaillaient pas, et tous les jours ils n’étudiaient que la philosophie. Et puis, quand ils avaient faim, de délicieuses nourritures aux saveurs enivrantes apparaissaient automatiquement devant eux. Et puis, ils vivaient avec des oiseaux de grande
valeur et des quadrupèdes rares. Ces animaux étaient en fait de formidables
chanteurs, des danseurs et des philosophes incroyables. Cette Terre Propre, on
l’appelait aussi le Monde de la Joie Parfaite de l’Ouest. »
De nouveau, le petit moine tourna la page après s'être humecté le doigt :
« Et puis, au milieu de cette planète, se trouvait
un grand lac aux sables d’or. Le flux et reflux des eaux cristallines se
produisaient selon le désir de son maître. Mais quel maître ? Dieu bien
sûr. Son surnom était le Bouddha Amitabha. Et, il était en train de faire sa
conférence sur le rivage…
- Ah ! C’est merveilleux ! admira la Grande
Personne. Est-ce que nous avons le droit d’y aller ? »
Le petit moine tourna la page en cherchant puis trouvé :
« Tout le monde a le droit d’y accéder. Et puis, en
plus, le Bouddha Amitabha est très accueillant. Appelez-le seulement en
répétant son nom, cela attirera son attention, et puis, il vous recevra chaleureusement.
- Ce n’est pas difficile d’y aller ! se dit la
Grande Personne en silence.
Elle posa la question : « Ça coûte cher pour y
aller ?
- C’est gratuit. »
« Que c’est beau ! se dit-elle. Mais c’est bien dommage que ce soit si loin ! »
Puis, elle discuta avec le petit confucianiste:
« Pour traverser dix mille milliards de galaxies, peut-tu estimer de combien d’années lumière nous avons besoin ? Je crains bien que la durée
d'une vie humaine ne suffise pas pour y aller. De plus, le vaisseau spatial
construit par l’homme n’a pas encore atteint la vitesse de la lumière. Ce voyage
est alors impossible, n’est-ce pas ?
- Chut ! interrompit le petit confucianiste à
voix basse. Laisse-le parler ! Ce n’est pas la peine de se faire du souci
pour les Bouddhistes : ils ont leur propre moyen. Nous ne faisons que
poser des questions. »
La Grande Personne posa donc la question :
« Comment peut-on faire pour traverser dix mille milliards de
galaxies ? »
Le petit moine tourna une autre page de son livre et
lut :
« Tout d’abord, vous devez tout vider. Vous devez
vider votre argent, vider votre famille, vider votre position sociale, vider
votre réputation, vider votre intelligence, vider vos vaisseaux spatiaux, vider
la vitesse de lumière, vider votre durée de vie, et même vider votre corps. Et
puis, si vous pouvez tout vider, vous serez alors un bon candidat pour partir.
Mais il ne faut pas oublier, avant tout, de commander un des vaisseaux spatiaux de
bouddhiste. C’est gratuit.
- Il y a combien de vaisseaux au choix ?
- Il y en a deux en gros: des petits vaisseaux et
des grands vaisseaux.
- Quelles sont les différences entre les deux ?
- Les petits vaisseaux ne peuvent transporter qu’une
personne et desservir qu’une station terminale. Quant aux grands vaisseaux, ils
peuvent prendre tous les humains à la fois, pour toutes les stations possibles
dans l’Univers.
- Combien y a-t-il de stations que l’homme peut aborder
en vivant dans l’Univers ?
- C’est… c’est… », le petit moine feuilletait son
petit livre.
Enfin, il trouva la réponse :
« Dans l’Univers, l’homme est veinard, pour faire son choix, il a
autant de stations que la quantité de sables de la rivière Gange.
- Parfait ! Et pourrais-je visiter les
vaisseaux ?
- Ils se trouvent juste derrière la Porte Vide. Mais, ils
sont invisibles.
- Ah ! C’est dommage ! Mais pourquoi les gens
doivent-ils quitter la Terre ?
- Si vous voulez profiter de la béatitude absolue, si
vous voulez vivre sans douleur et sans souffrance, le seul moyen d’être sauver,
c’est de quitter la Terre. Car la vie sur la planète Terre est une vie
submergée par un océan de douleur. Dans cet océan amer, tout homme, quel que soit sa position sociale, roi, clochard, enfant ou champion
sportif, doit supporter au moins quatre douleurs : la douleur de la
naissance, celle de la vieillesse, celle de la maladie, et celle de la mort. Si
vous voulez être rongé par cet océan de souffrance, vous pouvez y rester, c'est comme
vous voulez.»
Il tourna le page et reprit :
« Et puis, en plus, l’atmosphère de la Terre est
déjà polluée par trois passions humaines : le désir, la haine et l’erreur,
qui font entrer la vie de l’être humain dans le cycle de renaissance entre
l’homme et l’animal : le bon moral qui conduit des animaux à la vie de
l’homme, et le mauvais moral qui dégrade des hommes à la vie animale. Ceci
est un cycle mortel, dans lequel on ne peut pas se sublimer dans les
transcendances des saints. Et puis, en plus, de manière troublante, la Terre a
été aussi enveloppée par une couche de poussière rouge, qui fait que personne ne
peut échapper aux guerres et aux conflits qui détruisent les uns et les
autres. Alors, le seul moyen de se tirer de la poussière rouge, c’est
d’abandonner la Terre, et d’aller vivre dans le Monde de la Joie Parfaite de
l’Ouest. »
Et puis, tout le monde se tut.
Après un instant de silence, le petit moine les
interrogea : « Vous avez encore d’autres questions à poser, mes
bienfaiteurs ?
- Non.
- Parfait ! répondit le petit moine. Si vous décidez
de partir, il suffit de refrapper à la Porte Vide. »
Il joignit ses dix doigts pour saluer et referma la porte
du temple.
Sur la route descendante de la montagne, la Grande
Personne demanda au petit confucianiste:
« Alors, qu’est-ce que tu en penses ? Veux-tu
partir ?
- Non, je ne veux pas. Je suis né sur la Terre, ma vie
est ici. Même si elle est plongée dans un océan de douleur, je la tiens
toujours. Je supporterais tout pour elle, parce qu’à mes yeux, la Terre reste
toujours très belle: la plus belle de tout l’Univers. Je l’aime trop.
- Non ! Nous ne partirons pas ! Nous
baignerons dans cet océan de souffrance qu’est notre Terre ! Parce que
nous l’aimons ! dit la Grande Personne. »
Le petit confucianiste la considéra avec un sourire
compréhensif.
Et la Grande Personne lui répondit par un regard et un
sourire bienveillants.
Le petit confucianiste lui dit doucement : « Tu
sais, notre maître dit que le destin d'un confucianiste est de civiliser la
Terre.
- Oui ! Je suis complètement d’accord ! Nous
devrions civiliser notre Terre, étant donnée qu’elle est polluée par la
poussière rouge !
À ce moment là, les deux amis se sentirent très proches.
La Grande Personne lui demanda : « A ton avis,
comment pourrait-on civiliser la Terre ? »
- Par le vide.
- Je ne comprends pas ! Puisque tu ne veux pas
renoncer à la Terre, pourquoi tiens-tu encore au vide comme le bouddhiste?
Je crois que tu n’as pas besoin de cette technique.
- Le vide a un sens différent dans l’école
confucianiste. Pour les bouddhistes, ils doivent vider toutes les choses jusqu'au bout afin de se préparer à quitter la Terre. Mais pour les confucianistes,
c’est au contraire, leur mission est de civiliser la Terre, et pour accomplir
cette mission, ils doivent trouver le point initial de la civilisation. Ils l'ont enfin trouvé : c’est le vide. Par ce point de départ bien propre,
nous pouvons déclencher une civilisation vraie sur la Terre…
- J’ai compris ton idée, l’interrompit la Grande
Personne. Le vide signifie la fin pour le bouddhiste, à l’inverse, il signifie
le commencement pour le confucianiste. Les confucianistes veulent remettre
toutes les choses en ordre à partir du vide qui représente le point initial
d’une nouvelle civilisation. C’est une très bonne idée ! Mais, comment
peut-on civiliser notre Terre par le vide ?
« Bonne question ! C’est justement le deuxième
devoir de notre école : obtenir les connaissances réelles »
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